Le traumatisme psychique, l'évolution d'un concept :
D’abord nommée névrose traumatique ou névrose de guerre depuis la fin du 19ème siècle, la clinique du traumatisme psychique est depuis la 3ème révision du DSM reconnue sous la forme d’un état de stress post traumatique (ESPT) puis de Troubles de stress post Traumatique (TSPT) au terme de la dernière version du DSM, soit reconnue (et réduit) exclusivement aux réactions physiologiques et comportementales de l’organisme face à un évènement menaçant son intégrité, autrement dit par le stress,
Or, la description de l’ensemble de ces symptômes, si elle a son utilité diagnostique, ne saurait à elle seule, rendre compte de la clinique traumatique.
En effet, rappelons que le stress est la réaction biologique, physiologique à tout évènement de vie, sans forcément une menace pour son intégrité physique ; le stress n’induit pas d’effraction psychique.
En cas d’évènements graves, les réactions de stress peuvent s’associer au traumatisme psychique mais ne s’y réduisent pas : le concept de stress ne permet pas d’expliquer et de comprendre le trauma, c’est-à-dire les conséquences psychiques de l’évènement, comment l’évènement s’inscrit dans l’histoire personnelle du sujet et les modifications profondes qu’il induit sur la personnalité,
Mais aussi, le TSPT scotomise toute une partie de la pathologie habituellement associée au traumatisme psychique, décrits par l’ensemble des chercheurs et praticiens exerçant dans le domaine du psychotraumatisme (Crocq, 1999 ; De Clercq et Lebigot, 2001) :
- Troubles dépressifs et asthénie : de la moitié à un tiers des sujets présentent un trouble dépressif majeur (Ducrocq et al., 2004 ; Jolly, 2003), celui-ci peut persister plusieurs années après les faits
- Concernant les troubles cognitifs, seuls les problèmes de concentration sont répertoriés alors que d’autres troubles cognitifs font parties des plaintes fréquentes (Damiani, 1997), notamment les troubles de l’attention et troubles de la mémoire,
- Les troubles de la conduite : conduites addictives (alcool, tranquillisants, substances toxiques, etc.), conduites impulsives ou agressives, passages à l’acte suicidaires,
- Des troubles psychotiques, sur un versant souvent paranoïde peuvent également apparaître
- Des somatisations,
Enfin, le trouble de stress post traumatique, entité nosographique du DSM-5, suppose que la réaction d’une personne à un vécu traumatique soit universelle, ce qui sous-entend qu’il existerait une universalité psychique, qu’importe l’origine, la culture et les différences individuelles.
Pourtant, les recherches nous révèlent que les manifestations cliniques d’un traumatisme psychique sont en partie définies par des caractéristiques idiosyncratiques mais aussi culturelles du sujet (Radjack, 2012, Émergence et limite du concept de PTSD et Moro, 2012, Manuel des psychotraumatismes : cliniques et recherches contemporaines, Hollifield et ses collègues, 2002, Measuring trauma and health status in refugiees : a critical review. Journal of the American Medical Association)
Une étude sur les enfants soldats congolais réalisé par Daxhelet et Brunet révèle d’autres tableaux cliniques que les critères du DSM-5 : si des mécanismes d’amputation d’une partie de leur psyché les avaient protégés d’une réaction traumatique classique (bien qu’exposés très jeunes à des meurtres et des mutilations), cette partie clivée faisait retour dans l’agir et la violence (Revue Adolescence, « la haine chez un adolescent amputé de guerre », Daxhelet et Brunet, 2015)
Ces auteurs montrent par ailleurs dans une autre étude, comment des mécanismes psychiques de renversement du mode « passif » au mode « actif » pouvaient protéger des symptômes classiques du Troubles de Stress Post Traumatique (TSPT), avec en contrepartie, la perte de certains aspects de leur identité et le recours à la violence (« la perte d’une partie de soi dans le contexte d’une amputation traumatique de guerre : un deuil impossible ? » Daxhelet et Brunet, 2015)
Dès lors, Nicholl et Thompson soulignent que l’évaluation et le traitement du TSPT constitue un challenge chez des sujets de cultures d’origines différentes (in « The psychological treatment of post-traumatic stress discorder (PTSD), Journal of Mental Health, 2004),
Au-delà des différences individuelles et culturelles, ce qui semble invariablement caractériser le vécu traumatique sont les processus d’effroi et de sidération qui transforment le sujet dans sa manière d’appréhender le monde (Baubet et Moro, 2003) ; Moro (2012) ajoute qu’en clinique transculturelle, le traumatisme devrait être considéré comme « tous les non-sens qui touchent l’individu selon le niveau de l’être, du sens et du faire », c’est-à-dire l’ensemble des éléments qui bouleverse le sujet dans sa manière d’exister, de pouvoir donner une explication à son expérience et d’appartenir à la communauté des hommes,
C’est la raison pour laquelle, il nous semble fondamental de s’intéresser aux dimensions symboliques et intrapsychiques de l’expérience traumatique plutôt qu’à sa description symptomatologique puisque ce qui permet fondamentalement de définir cette expérience c’est l’atteinte des capacités de mise en sens et de contenance du sujet par la sidération et le débordement,