La pensée opératoire :
La pensée opératoire est un mode de pensée actuelle, factuelle et sans lien avec une activité fantasmatique ou de symbolisation. Elle accompagne les faits plus qu’elle ne les représente.
Le surinvestissement du perceptif sur lequel elle repose vise à défendre le sujet des effets de la carence de la réalisation hallucinatoire du désir et de la détresse traumatique que celle-ci est amenée à générer dans son appareil psychique.
Si la dépression essentielle est un moment de crise, avec la possibilité d’une reprise évolutive, la vie opératoire est un phénomène chronique, stable.
Avec la vie opératoire, la désorganisation mentale est profonde, marquée par une déliaison radicale des pulsions.
L'installation dans la vie opératoire survient après qu'une désorganisation lente au cours de laquelle aucune réorganisation spontanée n'a pu se produire. Le sujet est alors en proie à la survenue d’une maladie somatique.
Le sujet se présente alors taciturne, pris dans l'immédiateté de l'instant. Sa parole semble dépourvue d'intérêt, son activité psychique ne montre aucune capacité d'association.
Nous pouvons constater la persistance des comportements automatiques liés aux instincts (d'où l'absence de troubles de l'alimentation et du sommeil comme dans la dépression classique) ; tout désir a disparu chez ces sujets dont le quotidien est parfaitement géré par les conduites automatiques.
Bien que la pensée opératoire ait été décrite dans le cadre d’une approche psychanalytique des malades somatiques, sa description clinique peut être rapprochée de l’alexithymie, dont le concept a été forgé par deux auteurs nord-américains, Sifnéos et Némiah, en 1973.
L’alexithymie désigne « l’absence de mot pour désigner ses émotions ».
Elle comprend quatre caractéristiques principales :
- L’incapacité à exprimer verbalement ses affects
- La réduction de la vie onirique et des fantasmes
- L’hyperactivité ou la tendance à agir dans des comportements.
- La qualité factuelle du discours.
Pour ces auteurs, l’alexithymie est associée à un trouble neurobiologique dont la fréquence serait accrue dans certaines circonstances psychosomatiques.
Nous constatons également, dans les formes prononcées de la vie opératoire, une dégradation de la qualité du Surmoi et sa substitution par un puissant idéalisant que Pierre Marty qualifiait de Moi idéal :
Le Moi idéal, de toute puissance narcissique selon la définition de P. Marty, est un trait de comportement défini par sa démesure.
Il repose sur des exigences inépuisables du sujet vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis des autres.
L’intérêt majeur du repérage d’un Moi idéal chez un sujet, réside dans l’absence de capacités régressives et de passivité psychique qu’il implique et qui constituent un risque d’effondrement tant psychique que somatique.
Une fois installée, la vie opératoire dépend de la qualité de l’environnement faste qui entoure le sujet et en particulier de la mise en place d’un cadre de traitement psychanalytique adapté.
Compte-tenu de la réduction des capacités mentales d’intégration des évènements traumatiques qu’elle suppose, elle représente toujours un risque majeur de désorganisation somatique. C’est pourquoi l’évolution peut toujours s’ouvrir vers le développement d’une affection somatique grave.