Covid-19 - Leurre de la santé suprême... "Quoi qu'il en coûte" :

 

Lors d’une première allocution le 12 mars dernier au sujet de l’épidémie, notre président, Monsieur Emmanuel Macron, affirme que « la priorité absolue pour notre Nation, sera la santé » et de préciser, « La santé n'a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu'il en coûte”.

Si, pour le philosophe André Comte-Sponville, « une civilisation est en train de naître, celle qui fait de la santé, une valeur suprême » et qu'il déplore le « pan-médicalisme, cette idéologie qui attribue tout le pouvoir à la médecine». (Extrait de l’interview d’André Comte-Sponville publié le 17 avril 2020 par le magazine Le temps), nous ne pensons pas que la santé soit considérée aujourd'hui comme une valeur suprême, puisqu’il s’agit plutôt de ne considérer qu’un aspect de la santé d’une part, de cet aspect de la santé au regard de l’épidémie d’autre part et d’une certaine forme de vie :

Une santé considérée uniquement dans sa dimension biologique :

Selon l’OMS en effet, «La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité» et nous pouvons constater de toute évidence, que la dimension mentale et la dimension sociale ont été complètement scotomisées.

En juin dernier, notre ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire prédisait « une vague de faillites, une vague de difficultés sur le front de l’emploi très violente » à venir. Il a notamment évoqué la suppression de 800 000 emplois supprimés et 10 % de chômage pour cette année. Des chiffres inquiétants et qui pourraient s’aggraver en cas d’une deuxième vague de Covid-19.

Si les conséquences sanitaires et économiques de l’épidémie sont criantes, il n’en reste pas moins que cette crise a également des conséquences psychologiques dévastatrices : forte hausse de l’anxiété, des troubles du sommeil, des dépressions, de la consommation des psychotropes et la perspective d’une deuxième vague qui s’avère être davantage celle des suicides.

Dans les colonnes des Échos du jeudi 10 septembre 2020, en effet, Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale, spécialiste de la prévention du suicide rappelle « le lien entre crise économique et suicide. C’est incontestable, cela a été documenté dès la crise de 1929, et plus récemment lors de la crise de 2008. Il ne faudrait pas qu’une crise sanitaire en cache une autre, ajoute-t-il. Et celle-ci pourrait avoir des conséquences dévastatrices non pas sur les personnes âgées, mais sur les travailleurs actifs »

Ce même constat a été également réalisé par Jean-Claude Delgènes, président du cabinet de prévention des risques au travail, Technologia : “Nous assistons à une augmentation des crises suicidaires. En très peu de temps, nous avons eu une dizaine d’alertes, dont quatre de grandes sociétés françaises, notamment à propos de tentatives de suicide, dans les secteurs pharmaceutique et bancaire ainsi que dans le domaine de la restauration” (article paru dans L.frii – Covid-19, les experts alertent sur une possible vague de suicides)

Cette vague de suicides peut déjà s’observer à travers le monde, au Japon et en Thaïlande notamment, les études à ce sujet en France sont pour l’instant, en cours, mais nous constatons déjà une hausse inquiétante des demandes d'intervention sur site en raison d'un suicide au sein d'une entreprise.

Cet aspect biologique de la santé au regard de l’épidémie :

Il s’agit plus précisément donc, de ne considérer la santé, uniquement dans son aspect biologique au regard de l’épidémie, puisque d’autres maladies sont d’une part tout aussi préoccupantes, comme les maladies chroniques, les cancers, les insuffisances cardiaques et respiratoires et d’autre part, ces personnes sont d’autant plus en proie à des formes graves de la covid-19, comme cela a été précisé lors de cette allocution : « Dans l'immense majorité des cas, le Covid-19 est sans danger, mais le virus peut avoir des conséquences très graves, en particulier pour celles et ceux de nos compatriotes qui sont âgés ou affectés par des maladies chroniques comme le diabète, l'obésité ou le cancer »  et pourtant, notre président a demandé lors de cette même allocation « à toutes les personnes âgées de plus de 70 ans, à celles et ceux qui souffrent de maladies chroniques ou de troubles respiratoires, aux personnes en situation de handicap, de rester autant que possible à leur domicile. Elles pourront, bien sûr, sortir de chez elles pour faire leurs courses, pour s'aérer, mais elles doivent limiter leurs contacts au maximum»… Peut-être, aurait-il fallu préciser, « sans oublier de poursuivre leur suivi médical »,  puisque ce n’est que le 7 avril, soit trois semaines plus tard que notre ministre de la santé, Olivier Véran a rappelé dans un tweet, que « Si vous devez faire un dépistage du cancer du sein, faites-le ; Si vous devez faire les vaccins de vos enfants, faites-les ; Si vous avez une maladie chronique nécessitant un suivi, faites-le » ... Peut-être aurait-il aussi fallu préciser « dans la mesure du possible » puisque pour accueillir les patients atteints par la Covid-19 et augmenter les capacités de lits de réanimation,  les hôpitaux ont réorganisé leurs services, déprogrammé les hospitalisations, annulé les opérations chirurgicales, en maintenant au minimum les activités pour les autres malades.

Une enquête mondiale menée par L’OMS rendue publique le 31 août 2020 révèle que 90% des pays ont souffert des perturbations des services essentiels de santé depuis le début de la pandémie. (Étude complète disponible sur le site le l’OMS)

Toujours est-il que la covid-19 étant au centre de toutes les préoccupations et la communication concernant la nécessité de poursuivre son suivi médical pour les personnes atteintes d’autres pathologies, de toute évidence, très confuse,  beaucoup de patients ont renoncé à se rendre aux urgences ou chez leur médecin de peur de déranger, alors qu’il s’agissait de cas d’urgence, beaucoup de patients on retardé leurs examens ou leur traitement pour le cancer qui se sont révélés fatal par la suite, en plus des détresses psychologiques non prises en charge dont l’issue a également été fatale, sans oublier les enfants et les femmes victimes de violence dont le nombre a explosé pendant le confinement. Au total, ce sont des centaines de milliers de vies qui ont été perdues au point de faire dire aux spécialistes du terrain,  que les dommages collatéraux au Covid-19 feront au final, bien plus de morts que les malades de la Covid-19.

Sauver des vies, "quoi qu'il en coûte" :

Il serait intéressant de se demander d’une part quelle forme prend la vie lorsqu’elle est réduite à sa dimension biologique, ce que les grecs nomment la « Zôé », c’est-à-dire le simple fait de vivre, commun à tous les êtres vivants, distincte du « Bios »  ou la vie qualifiée, qui correspond à la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou un groupe et d’autre part ce qu’il en coûte précisément.

 

  • une certaine forme de vie : la vie sacrée

« Le caractère sacré de la vie que l’on tente aujourd’hui de faire valoir, comme droit humain fondamental contre le pouvoir souverain, exprime au contraire, à l’origine, l’assujettissement de la vie à un pouvoir de mort, son exposition irrémédiable dans la relation d’abandon » (G.Agamben, Homo Sacer, p.93)

Le droit romain archaïque déclarait en effet homo sacer (homme sacré), un homme qui avait commis un crime tel, qu’il ne pouvait être puni autrement que par l’élimination sociale et juridique de son auteur. Celui-ci  était dès lors privé de tout droit ; il était celui que l’on pouvait alors tuer sans être un criminel mais qu’on ne pouvait sacrifier ; à cette absence de protection élémentaire normalement reconnue par l’ordre juridique, venait s’ajouter, la confiscation des biens, l’exclusion des liens de la famille et de la parenté, la déchéance du droit de cité, l’exil.

Cette condamnation représentait une mort civile, L’homo sacer n’était plus un être social, il avait cessé d’être un sujet de droit, il devenait un mort-vivant.

N’existant plus au niveau juridique et social, il ne lui restait que sa vie biologique, une vie nue (concept de Walter Benjamin reprise par Giorgio Agamben), c’est-à-dire le simple fait de vivre.

C’est à partir d’une enquête généalogique du pouvoir et donc du concept d’homo sacer notamment, que le philosophe Giorgio Agamben, reprend différemment la notion de bio-pouvoir (mode spécifique de pouvoir quand la vie entre dans ses préoccupations) de Michel Foucault.

Giorgio Agamben, analyse la structure spécifique du pouvoir souverain, comme une relation spécifique à la vie qu’il nomme État d’exception et son analyse démontre que cet état d’exception  ne constitue pas une mise entre parenthèses temporaire de l’État de droit, puisque c’est sur elle que repose, depuis l’origine, les formes du pouvoir politique en Occident.

La souveraineté ne porte plus sur des sujets de droits mais sur la vie nue, cette vie ou plutôt cette survie lorsqu’elle est réduite à sa dimension biologique, cette vie sans dignité, sans droit et sans identité.

L’état d’urgence sanitaire est un état d’exception qui justifie que nos droits soient suspendus pour notre sécurité et celle des autres. Ainsi, comme l’homo sacer de la Rome antique, avons-nous été privés de nos droits fondamentaux et notre vie, réduite à une « vie nue », c’est-à-dire au simple fait de vivre.

Au nom de la vie ou plutôt de cette forme particulière de vie, avons-nous accepté de renoncer à nos libertés, nos habitudes de vies, nos rapports sociaux, au respect de nos anciens et des morts… Une absence totale de valeurs qui peut être tristement illustrée « par les conditions inhumaines de détention » dirons-nous, des personnes dans les EHPAD lors du confinement et récemment lors de la canicule. Dans un article du Parisien pouvait-on lire à ce sujet, le témoignage de la fille d’une résidente d’un EHPAD qui déplorait les conditions de vie de sa maman lors du confinement et de s’exprimer « ma mère  n’est pas un chien ! ».  Effectivement, nous rappelons que les chiens avaient autorisation de sortie... Pour le pape François, une société qui ne respecte plus ses anciens, porte le virus de la mort.

Les états d’urgence se succèdent, la culture, c’est-à-dire « tout ce en quoi la vie humaine s’est élevée au-dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes et je dédaigne séparer culture et civilisation » (Freud, Malaise dans la civilisation), est massacrée, tout comme les lieux qui nous permettent d’avoir une vie sociale (bars, restaurants, discothèques, salle de sport, etc.), ce qui risque d’inscrire durablement notre vie dans une vie nue.

Les questions qui s’imposent sont : Peut-on consentir à réduire notre vie à une vie nue ? N’est-il pas urgent de repenser les valeurs qui nous portent, qui nous guident et qui nous permettent de donner un véritable sens à notre vie afin qu’elle vaille la peine d’être vécue ?

 

Nathalie Neyrolles, 6 septembre 2020