Échec de l’aire transitionnelle :

Dans son article « objets transitionnels et phénomènes transitionnels » in Jeu et réalité, 1971, Winnicott précise que l’objet transitionnel auquel l’enfant s’attache avec passion, recouvre un processus de symbolisation qui va se retrouver dans une série de phénomènes divers.

Cet objet, appartenant à l’aire transitionnelle, espace d’illusion qui se situe entre la maman et son enfant, aire intermédiaire entre réalité psychique et réalité extérieure, permet à l’enfant de se rassurer en l’absence de sa maman en maintenant une continuité menacée par la séparation et de lutter en conséquence contre l’angoisse de type dépressif.

L’aire transitionnelle va jouer un rôle essentiel dans les processus de représentation et de symbolisation et permettra un premier décollement avec l’objet maternel, un premier mouvement de l’enfant vers l’indépendance.

Ce n’est pas l’objet qui est transitionnel précise Winnicott « l’objet représente la transition du petit enfant qui passe de l’état d’union avec sa mère à l’état où il est en relation avec elle, en tant que quelque chose d’extérieur et de séparé. »

Progressivement les phénomènes transitionnels prendront différentes formes qui occuperont l’aire intermédiaire entre réalité psychique et réalité extérieure : la création artistique, le jeu, les croyances religieuses, le vol et le mensonge, la toxicomanie, le fétichisme, les rituels obsessionnels, etc.

Parmi les phénomènes transitionnels, nous distinguons ceux qui sont au service de la sublimation, et ceux qui témoignent d’un échec du processus de symbolisation. L’addiction fait partie des échecs de l’évolution de l’objet transitionnel : une sorte de ratage fétichique au service du déni de la séparation.

Un peu plus loin, Winnicott précise que «le petit enfant peut employer des objets transitionnels quand l’objet interne est vivant, suffisamment bon, pas trop persécuteur. Mais les qualités de cet objet interne dépendent de l’existence, du caractère vivant (aliveness) et du comportement de l’objet externe. Si celui-ci présente une carence relative à une fonction essentielle, cette carence conduit à une mort ou à une qualité persécutive de l’objet interne. Si l’objet externe persiste à être inadéquat, alors l’objet transitionnel se trouve lui-aussi dépourvu de toute signification

Si la mère ou toute autre personne dont l’enfant dépend, s’absente un court instant, il ne se passe rien : le petit enfant nous dit Winnicott, « garde en effet le souvenir ou l’image mentale de la mère, ou encore ce que nous appelons une représentation intérieure, qui peut rester vivante pendant un certain laps de temps. »

« Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite(…) le souvenir de la représentation s’efface. Dans un même temps, les phénomènes transitionnels perdent progressivement toute signification et le petit enfant est incapable d’en faire l’expérience. Nous assistons alors au désinvestissement de l’objet. Juste avant que la perte ne soit ressentie, on peut discerner dans l’utilisation excessive de l’objet transitionnel, le déni de la crainte que cet objet perde sa signification »

Ainsi l’addiction représente de façon régressive, une tentative pour retrouver l’objet primaire des premiers mois de la vie, de retrouver un sentiment d’omnipotence et de toute-puissance, à l’époque où les relations étaient celles de l’attachement (Bowlby) et de la non différenciation soi/non-soi.

En effet, le processus de séparation-individuation marque l’accession à la permanence de l’objet libidinal, ce qui signifie que l’image de la mère est intrapsychiquement disponible pour l’enfant, lui donnant soutien et réconfort.

Lorsque manquent ces représentations sécurisantes auxquelles le sujet devrait s’identifier afin de pouvoir s’autoassurer dans des moments de débordement affectif, il cherchera dans le monde externe, faute d’un monde interne sécurisant, une solution à son manque d’introjection d’un environnement maternant : l’objet addictif sera le substitut de la mère interne dont l’objectif sera de dénier la séparation. L’objet d’addiction apparaît donc comme un objet de survie, comme la mère qui, à l’aube de la vie permet à l’enfant cohérence et l’intégration de ses angoisses disséquantes.

Cet objet, béquille d’un Moi blessé, donnera l’illusion au sujet qu’il peut tout et qu’avec cet objet, il s’auto-suffit.

« L’énergie que pourra dépenser un sujet à s’accrocher désespérément à son objet d’élection est à la mesure du vide intérieur que laisserait la perte de cet objet, ou de la blessure hémorragique qu’elle ouvrirait dans un moi peu assuré de sa consistance. Ces solutions esquissées (agitation stérile, manies, dépendances, mythomanie) peuvent constituer d’autres destinées par lesquelles le sujet tentera de remplir et combler de façon désespérée et compulsive ces trous psychiques. » (G. Pirlot)

La conduite addictive peut ainsi être considérée comme une quête d’affranchissement de la dépendance affective vis-à-vis des objets externes et internes, en faisant l’économie de la perte, du conflit et de la rencontre incertaine avec le désir de l’autre.

Cependant, cela ne sera pas sans conséquences :
En effet, la perte n’ayant pu être élaborée, nous nous trouvons face à des pathologies de la séparation et de pathologies de l’identification, de genre comme de génération.

C’est au moment de l’adolescence, que la réactivation pulsionnelle mettra en évidence une intolérance absolue à la frustration et à la douleur psychique.
Dès lors, seront forclos les affects et les activités d’élaboration psychiques seront entravées : phobie de la pensée et exclusion de l’affect.