Etre ou paraître
Un environnement suffisamment bon permettra à l’enfant de développer son vrai self. Plus précisément le vrai self est la conséquence d’une réussite répétée des réponses de la mère aux gestes spontanés de l’enfant ou à ses hallucinations sensorielles ; ce qui permet à l’enfant de croire que la réalité extérieure se comportait comme par magie et maintient ainsi son omnipotence à laquelle il pourra désormais renoncer.
Le vrai self se définit comme la partie la plus créatrice de notre personnalité, c'est celle qui imagine, qui joue, qui nous donne le sentiment d'exister. C'est ce que nous reconnaissons comme étant nous-mêmes, nous représentant spécifiquement. Le Self nous donne l'impression de notre identité, de notre intimité.
L'organisation de Faux-Self est favorisée lorsque la mère, incapable de répondre aux manifestations spontanées de son bébé, imposera ses choix et le contraindra à s'y soumettre. C'est cette non-reconnaissance répétée des gestes spontanés de l'enfant qui favorisera chez lui le développement d'un Faux-Self tyrannique.
Lors de défaillance maternelle relative, le bébé apprend rapidement à faire une prévision qu’on pourrait traduire ainsi « mieux vaut oublier l’humeur de la mère, être spontané. Mais dès le moment où le visage de la mère s’affirme, alors mes propres besoins devront s’effacer, sinon ce qui est central en moi sera atteint » nous dit Winnicott dans son article le rôle de miroir de la mère et de la famille.
Ainsi la création d’un faux self constitue une défense pour protéger le vrai self, considéré comme trop fragile et non accepté par l’environnement.
Une fois devenu adulte, le sujet continuera à faire ce qu'il a appris : soumission et imitation. Faire sien le désir de l'autre et adopter des attitudes en conséquence. L’apparence sera investie au détriment d’un moi authentique. Il y a création d’un faux self par mimétisme avec l’environnement ; le sujet sera un caméléon sans en avoir forcément conscience puisque imiter est devenu une seconde nature. Mais coupé de sa source vive, cette vie en surface, totalement coupé de ses désirs réels, c’est un ressenti d’absence de vie qui hantera ces sujets lorsqu’ils ne seront plus en représentation.
Notons que ce n’est pas tant la présence d’un faux self qui soit problématique que le rapport entre vrai self et faux self et la fluidité de passage de l’un à l’autre.
Il existe en effet plusieurs degrés d’organisation du faux self :
- le Faux-Self a entièrement recouvert la personnalité, laissant en toute situation une impression de « fausseté » dans la relation. Le Vrai-Self est totalement dissimulé aux autres. L'individu souffre de la situation qu'il subit en société: la tension entre "Vrai" et "Faux-Self" crée un handicap dans sa vie sociale
- le Faux-Self, pour préserver l'individu d'un environnement jugé nocif, maintient le Vrai-Self sous protection
- le Faux-Self tente de trouver une adaptation avec l'environnement pour permettre au Vrai-Self de s'exprimer
- des identifications tiennent lieu de Faux-Self. Le Vrai-Self parvient à s'exprimer relativement facilement à travers elles
- le Faux-Self autorise l'expression en société par une attitude a priori polie, des manières sociales adaptées aux autres et respectant les conventions. Il établit le contact, maintient la distance et préserve l'intimité. Le Vrai-Self peut s'exprimer dès que l'individu le souhaite, et avec qui il le souhaite.
Le repérage de ce type de personnalité a été réalisé quelques années auparavant, en 1942 avec Hélène Deutsch, dans son article « Divers troubles affectifs et leur rapport avec la schizophrénie »
Elle y décrit ce qu'elle nomme les personnalités " as if " (comme si). Ce sont des personnes dont le comportement est parfaitement normal en apparence, ne semblant souffrir d'aucun trouble affectif, mais dont on constate pourtant un décalage entre ce qu'ils sont et ce qu'ils paraissent être : il y a une impression de fausseté. Elle attribue la nature de ce trouble particulier à l'existence d'un noyau schizophrénique chez des individus apparaissant par ailleurs normaux et totalement adaptés. Le trouble de l'affectivité ne serait d'ailleurs selon elle pas forcément perçu par le patient. Mais leur interlocuteur sent inéluctablement à leur contact une impression bizarre, comme si derrière l’apparence d’une parfaite adaptabilité, il y avait quelque chose qui « cloche ».
Hélène Deutsch s’explique « La caractéristique essentielle de la personne que je veux décrire est la suivante : extérieurement elle mène sa vie comme si elle possédait une capacité affective et sensible totale. Pour ce genre d'individu, il n'y a pas de différence entre ses formes vides et ce que les autres éprouvent réellement(…)La relation apparemment normale avec le monde correspond à l'esprit d'imitation de l'enfant, et c'est l'expression de l'identification avec le milieu environnant, un mimétisme qui aboutit à une adaptation apparemment bonne au monde de la réalité, malgré l'absence d'investissement d'objet."
Ce qui « cloche », c’est un trouble de l’affect. Leur trop parfaite adaptation est pour l'analyste un indice : dans leur travail comme dans leurs réactions affectives, elles ne font jamais que reproduire un modèle ou mimer des sentiments, mais n’éprouvent rien et ne peuvent que s’identifier aux émotions des autres.
Les principales caractéristiques des personnalités « as if » sont :
- Une très grande capacité à s'identifier à ce que les autres pensent et ressentent mais une tout aussi grande capacité à changer d'idéaux, de modèle pour le remplacer par un autre. D'où des changements brusques et déconcertants chez des personnes à l'apparence pourtant stable,
- Leur morale est également calquée sur celle de leur entourage, comme un enfant dont la morale est dictée par ce qui est permis ou interdit par l'éducation. Il s'agit pour eux essentiellement de ne jamais être en conflit avec cette morale extérieure.
- Leur suggestibilité, conséquence de l'aptitude passive à s'identifier est immense et accroît encore leur capacité naturelle à la soumission, l'idéalisation et l'identification au milieu
- Ils sont hyperdépendants du milieu dans lequel ils se trouvent, bien qu’ils réagissent de façon surprenante en situation d'abandon : ils manifestent soit une totale passivité, soit l'expression de pseudos sentiments, tout aussi factices que leur personnage. Pourtant l'angoisse d'abandon est bien présente, mais leur défense contre la dépression qui pourrait en découler est essentiellement de trouver une autre " accroche ", un autre objet d'identification, un autre "support ". Ceci est possible car il n'y a pas vraiment investissement d'objet en tant que tel.
Et Hélène Deutsch de poursuivre : " Les patients décrits ici peuvent donner à penser que nous traitons de quelque chose comme le blocage de l'affect rencontré en particulier chez les individus narcissiques qui ont développé une perte de sentiment par refoulement. Cependant la grande différence fondamentale est que la personnalité " comme si " tente de simuler l'expérience affective, alors que l'individu atteint d'un blocage de l'affect ne le fait pas. "