Appelée dans un premier temps « dépression sans objet » (1963, L’investigation psychosomatique), elle est finalement dite « essentielle » (1966) car il y a un abaissement du tonus général du tonus vital sans contrepartie économique.
C’est une dépression qui ne se voit pas et se révèle précisément par sa négativité symptomatique : pas de sentiment de culpabilité, ni auto-accusation mélancolique, pas de tristesse particulière ; elle ne peut s’apprécier que dans le mode de relation avec son interlocuteur.
La dépression essentielle est un moment critique d’une désorganisation progressive souvent précédé par une phase d’angoisses diffuses.
Cette dépression peut cesser grâce à une réorganisation régressive, mais elle peut aussi se prolonger et se stabiliser dans un état chronique précaire : la vie opératoire.
La fatigue peut être le seul signe de cette dépression que P. Marty définit par le manque : «effacement sur toute l’échelle de la dynamique mentale (déplacements, condensations, introjections, projections, identifications, vie fantasmatique et onirique). On ne rencontre pas dans cette dépression « bienséante », le « raccrochage libidinal » régressif et bruyant des autres formes de dépressions névrotiques et psychotiques »
Il n’y a plus de désirs, plus d’intérêts, plus d’appétits ni alimentaire, ni sexuel, ni intellectuel, ni relationnel, les échanges du sujet perdent leur chaleur affective.
Cette forme de dépression peut rester longtemps ignorée de l’entourage, qui souvent, ne remarque aucun changement notable dans la vie familiale et professionnelle du déprimé, alors que celui-ci ne fait que perpétuer des habitudes et satisfaire machinalement des besoins élémentaires et ne s’intéresse ni à son passé, ni à son avenir : « le moi défaillant remplit au plus mal, de manière évidente, ses rôles de liaison, de distribution et de défense. Il est en fait (…) coupé de ses sources et désorganisé » (Marty, 1990)
Cette forme de dépression peut se déceler au cours d’un entretien, où la défaillance du préconscient se reconnaît à la pauvreté associative et à l’absence d’évocation de souvenirs ou de fantasmes.
Le sujet déprimé essentiel parle peu spontanément ou il procède à l’énumération neutre de sa situation ou il fait état d’un quotidien banal, énumérant parfois le déroulement chronologique des faits, précisant les horaires et les quantités. Exemple : « je me suis levé ce matin à 6H50, j’ai pris un café avec deux tartines ; je suis parti de chez moi à 8h10 ; je suis arrivé en retard au travail à cause d’un accident sur la route » Le discours monotone et ennuyeux doit souvent être soutenu par des interrogations, sinon il s’interrompt.
Etant donné l’absence de symptomatologie positive et la conservation des activités habituelles, cette dépression échappe non seulement à l’entourage mais également aux structures de soins, alors qu’une psychothérapie adéquate peut rétablir rapidement un meilleur fonctionnement psychique ; une ranimation psychique s’opère souvent dès le premier entretien.
Des changements de l’attitude de l’entourage peuvent également opérer une telle ranimation.
Cette forme de dépression réversible devrait pouvoir être reconnue au plus tôt pour que puisse être favorisée à temps, une réorganisation vitale.
Ce sont également l’aspect physique qui peuvent aider à déceler cette dépression : la tenue vestimentaire, la coiffure, la démarche, le ton de la voix, tous les éléments qui marquent le manque de tonus et le défaut d’intérêt, pour soi et pour les autres ; désintérêt qui peut se manifester par de
la fatigue également : « ce désintérêt nommé fatigue à partir d’un certain degré constitue la dépression essentielle » nous dit M. Fain (1990)
La dépression essentielle peut s'arrêter spontanément, une sortie peut s’opérer du fait d'une régression revitalisante, d'une intervention relationnelle extérieure, de bénéfices secondaires d'une maladie.
Mais elle peut aussi se chroniciser et évoluer vers la vie opératoire, prélude d’une désorganisation somatique grave.